Mehun-sur-Yèvre, la cité de Charles VII
Le petit roi de Bourges, comme le nommaient les détracteurs de Charles VII, avait choisi pour résidence secondaire un beau château à proximité de sa « capitale » de Bourges, le Château de Mehun-sur-Yèvre. Il faut dire que la beauté du château et de l’Yèvre en attirent plus d’un dans cette petite ville du Berry, à mi-chemin entre Bourges et Vierzon.
Table des matières
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Mehun-sur-Yèvre est habitée depuis des milliers d’années lorsque l’on découvre l’Yèvre en cet endroit. Cette petite rivière française de 80 km, qui relie Bourges à Vierzon, se démultiplie et se montre à nos yeux sous ses plus beaux atours, donnant un charme tout particulier à la ville. De plus, une terre bien irriguée est une terre fertile et propice au commerce.
Magodunum, la Mehun-sur-Yèvre gallo-romaine
Située sur l’énigmatique voie romaine allant de Bourges à Tours, la ville était occupée dès cette époque, comme l’attestent les villas gallo-romaines qui y ont été retrouvées. Il s’agissait alors probablement d’un simple village.
Magodunum, l’ancien nom antique qui nous a donné l’actuel « Mehun », viendrait des mots d’origine celte « magos », le marché, et « dunon », forteresse. On retrouve cette même origine dans d’autres villes, comme Moing ou Mauzun par exemple. Nous sommes ici en plein territoire des Bituriges Cubes, qui correspond à peu de choses près au Berry actuel, avec pour capitale Avaricum, l’actuelle Bourges.
En se promenant dans la vieille ville, l’ambiance qui en ressort est avant tout celui d’une ancienne cité médiévale, avec ses petites rues étroites, aux trottoirs parfois presque symboliques. Les rues ne sont pas noires de monde, les voitures ne circulent pas à toute vitesse. J’ai visité Mehun-sur-Yèvre un dimanche après-midi d’automne, un régal. Un régal de pouvoir profiter de la guide du Château pour moi tout seul, un régal de pouvoir se garer en voiture immédiatement n’importe où, un régal de ne pas avoir à se presser pour acheter un pain aux raisins à la boulangerie, un régal tout simplement de profiter d’une petite ville où la qualité de vie est agréable. Nous sommes près des deux grands pôles économiques du Cher, Bourges et Vierzon, dans une région où la pression immobilière est inexistante.
Il existe bien sûr des quartiers modernes, en périphérie, avec ses HLMs moches et ses zones commerciale hideuses. Il n’empêche : en ouvrant leur fenêtre, les gens des HLMs voient des arbres, l’horizon et le centre-ville est tout proche, inutile de prendre la voiture ou le bus !
Le Château
Si je suis venu à Mehun-sur-Yèvre, c’était pour ce Château. L’une des plus fabuleuses constructions de la fin du Moyen Âge, aujourd’hui malheureusement quasiment détruite. En venant de la grande place du général Leclerc, quand on arrive face à cette grande tour, on songe à ce qu’avaient pu voir nos ancêtres du temps de Charles VII. Les douves d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’il en reste, nous en donne un aperçu…
Ce n’est qu’au début du IXème siècle que l’on trouve la première source écrite de Mehun-sur-Yèvre et de son château. Les fouilles archéologiques nous montrent qu’à ce premier château de bois vont se succéder onze autres châteaux avant d’en arriver au château dont nous pouvons apprécier les ruines aujourd’hui. La situation stratégique est évidente : nous sommes sur un rocher, qui tombe à pic sur l’Yèvre.
Le premier personnage important de Mehun-sur-Yèvre est, une fois n’est pas coutume lorsque l’on parle du Moyen Âge, une femme : Béatrix de Mehun. Fille ainée d’Etienne de Mehun, elle en est par conséquent l’héritière. La transmission se faisait à l’époque par les ainés, qu’ils soient hommes ou femmes ! Ce pouvoir donné aux femmes fut sans doute la chance de Mehun-sur-Yèvre, qui put s’embellir non pas par conquête guerrière, mais par le mariage. Béatrix, en se mariant avec Geoffroy de Vierzon en 1025, permit à Mehun-sur-Yèvre de gagner en prestige, tout en réfrénant les ardeurs guerrières de son époux. C’est elle qui fera de ce château originellement purement défensif une authentique résidence.
De remodelages en reconstructions, le château de pierre définitif va peu à peu prendre forme. Le donjon est construit sous Philippe Auguste, alors en pleine réorganisation de la défense face à son grand rival Richard Cœur de Lion et les Plantagenêts. Le château devient de plus en plus confortable et agréable à vivre, tout en restant une place forte de premier ordre.
Mahaut de Mehun, lointaine descendante de Béatrix, va se marier avec Robert Ier de Courtenay-Champignelles en 1216, s’unissant de cette façon à une des familles les plus prestigieuses de France : les Courtenay sont une branche des Capétiens. Ce début de XIIIème siècle est une période de culture et de progrès pour Mehun-sur-Yèvre. Le château est embelli et fortifié en pierre, l’abbaye Notre-Dame de Beauvoir est construite, la muraille est renforcée avec la construction de la porte de l’Horloge.
Un dernier mariage ralliera la famille d’Artois à Mehun-sur-Yèvre : Amicie de Mehun-Courtenay, petite-fille de Mahaut de Mehun épouse en 1262 Robert II d’Artois. Leur petit-fils, Robert III d’Artois, provoquera bien malgré lui un tournant majeur dans l’histoire de la ville et de son château. Robert, ne parvenant pas à s’emparer par voie légale du comté d’Artois qu’il estimait faire partie de son héritage, forgea de faux documents qui l’aideraient dans ses ambitions. La tricherie ayant été découverte, il sera dépossédé de tous ses domaines, qui reviendront alors au roi Philippe VI de Valois et au domaine royal.
Jean de Berry
Troisième fils du roi de France Jean II le Bon, le duc de Berry n’aura de cesse que d’embellir ses possessions. Le château de Mehun-sur-Yèvre, sa résidence, sera profondément transformé, dans un style qui préfigure la Renaissance, avec une avance de pratiquement un siècle. Ami des Arts, il collectionne dans son château les plus belles œuvres de son temps et fait travailler auprès de lui les meilleurs artistes. Décidé à en faire un lieu de villégiature, il aménage les jardins que nous pouvons encore apprécier aujourd’hui, et augmente la taille des tours, désormais surmontées d’une véritable « dentelle » de pierre.
Ces profondes modifications sont visibles dans le livre qu’il commanda aux frères de Limbourg, « Les Très Riches Heures du duc de Berry ». Nous pouvons y voir l’ampleur du travail de l’architecte, Guy de Dammartin, qui y travailla à partir de 1367, épaulé pour les décors par le sculpteur André Beauneveu.
Charles VII et Jeanne d’Arc
A sa fuite de Paris en 1418, chassé par les Bourguignons, il s’installa dans son nouveau domaine du Berry. Décédé en 1416, le duc Jean de Berry et ses somptueuses résidences étaient encore dans toutes les mémoires. Celui qui n’est pas encore le roi de France, encore adolescent, tombe amoureux de Mehun-sur-Yèvre, de la quiétude que l’on peut y trouver dans la période trouble de la Guerre de Cent Ans. Il y habitera dès lors régulièrement, amenant avec lui sa Cour, dont fait partie la belle Agnès Sorel, favorite du roi.
C’est au château de Mehun-sur-Yèvre qu’il anoblira Jeanne d’Arc en 1429, pendant le séjour de la Pucelle d’Orléans dans la région. Elle préférait résider en dehors de la Cour du Roi, comme dans cette maison encore visible aujourd’hui à Mehun-sur-Yèvre, alors propriété du chirurgien Renaud Thierry. Vers la fin de sa vie, Charles VII choisit de vivre dans son château, autant par amour de sa propriété que par peur d’être victime d’empoisonnement, ses ennemis étant nombreux.
La ville de Mehun-sur-Yèvre est une ville « Johannique », c’est-à-dire membre d’une association qui a pour but de promouvoir et de protéger l’image de Jeanne d’Arc. J’ai un sentiment mitigé sur Jeanne d’Arc. Est-ce une bonne chose que de glorifier une jeune femme qui voulait « bouter l’anglais hors de France » ? Est-ce une bonne chose que de glorifier une jeune femme qui faisait la guerre à l’occupant « étranger » ? La notion de « patrie » n’existait pas à l’époque comme on pourrait l’avoir actuellement. On ne parlait pas la même langue en Artois qu’en Aquitaine ! Le roi d’Angleterre Richard II était né à Bordeaux, Richard Cœur de Lion avait pour langue maternelle l’occitan. Faire une guerre simplement parce qu’on préfère un souverain plutôt qu’un autre, pour moi, c’est non.
Souvenons-nous de ce Robert III d’Artois, qui a tant œuvré pour ses ambitions personnelles, et tant œuvré pour attiser le conflit. Il ne faut pas oublier qu’une guerre, ce n’est pas tant les morts tués au combat qui comptent, mais plutôt les famines provoquées par la dévastation des terres et la conséquente propagation des maladies.
Derrière les mots, il y a de véritables personnes, des paysans, des soldats, qui ont souffert et qui sont morts uniquement pour satisfaire leur seigneur. Est-ce une bonne chose ?
Je reconnais toutefois que l’image romantique d’une jeune femme déterminée qui harangue des soldats me plait, dommage qu’il s’agisse d’une guerre que je qualifierais de civile. Est-ce que le « petit peuple » n’aurait pas été mieux si la couronne d’Angleterre était unie à celle de France ? Je laisse ici la réflexion, chacun aura sa réponse.
Ruines du Château de Mehun-sur-Yèvre
Jamais le château ne connut la guerre ou de batailles, un coup de chance inouï en Europe pour un bâtiment si ancien. Son état de ruine avancé n’est l’œuvre que des tourmentes météorologiques et, surtout, de l’ignorance des hommes. A la Révolution, comme à bien d’autres endroits, le château, symbole de l’Ancien Régime honni, servi de carrière de pierres. Il fallait voir le côté pratique : les pierres étaient déjà sur place, prêtes à l’emploi. En à peine 25 ans, ce que la foudre et les incendies n’ont pu détruire, la carrière de pierres « à bas prix » s’en chargea : il ne reste aujourd’hui plus que le donjon, un morceau d’une autre tour, ainsi que les fondations des remparts. Pour retrouver les pierres du château, il suffit de se promener un peu en ville, elles ont servi à construire bon nombre de résidences mehunoises. C’est d’ailleurs le même constat pour l’abbaye de Beauvoir : la Révolution lui causa sa perte, il n’en reste rien aujourd’hui.
Le marquis de Villeneuve
Cet homme, contemporain de la Révolution Française, devient préfet du Cher en 1816. C’est lui qui rachète les ruines du Château de Mehun-sur-Yèvre, devenant dès lors la propriété de la municipalité. En tant que préfet, il favorisera également l’essor des manufactures de porcelaine dans le département. Le donjon, profondément restauré au XIXème siècle, abrite aujourd’hui le musée Charles VII, où l’on découvre un peu de ce qu’avait pu être la vie au Moyen Âge.
Les Jardins du Duc de Berry
Ici se trouve peut-être l’explication de l’engouement des élites dirigeantes pour Mehun-sur-Yèvre. Les Jardins du Duc de Berry, placés en pleine ville et traversés par les rivières de l’Yèvre et de l’Annain nous invitent à la détente et au calme. Au XIXème siècle s’ajoute aux rivières le Canal de Berry, grandissant encore plus la relation particulière des Jardins avec l’eau. Aujourd’hui encore, les mehunois viennent s’y promener ou pratiquer la pêche, les eaux de l’Yèvre étant poissonneuses.
Collégiale Notre-Dame
Construite au XIème siècle, l’édifice est de style roman. Située à proximité immédiate du château, elle domine les Jardins. Lors de ma promenade à Mehun-sur-Yèvre, je n’ai trouvé qu’une porte fermée, impossible de voir les trésors que l’église renferme : des tableaux et des sculptures, ainsi qu’un travail remarquable de ferronnerie pour les fonts-baptismaux. Le clocher date du XIIIème siècle et arbore sur son porche un agneau pascal enchâssé dans une croix grecque.
La Porte de l’Horloge
Cette « porte », aujourd’hui en plein milieu de Mehun-sur-Yèvre, était jadis l’entrée principale des murailles qui entouraient la ville. Bâtie au XIIIème siècle, elle intégrait alors toutes les nouveautés techniques de défense de son époque.
Son nom de « l’horloge » est évident, une grande horloge se trouvant des deux côtés de la porte. Pour info, elle est à l’heure, et sonne les heures grâce à une cloche du temps du duc Jean de Berry. La porte, même si elle ne ferme plus et que les murailles n’existent plus depuis longtemps, contrôle toujours les allées et venues du centre historique : la rue Jeanne d’Arc la traverse.
Manufacture de Porcelaine Pillyvuit
Mehun-sur-Yèvre était autrefois connue comme une ville « drapière », productrice de tissus. Lorsqu’au XIXème siècle, les manufactures de porcelaine commencent à arriver en Berry, l’ancienne industrie, déjà mal en point et payant mal ses salariés, fut mise de côté. Il faut dire que la porcelaine était à la mode, l’engouement était général.
C’est en 1854 que Charles Pillyvuit s’installe dans la ville, désormais connue avant tout pour sa manufacture, la plus grande de France encore en activité de nos jours. Pillyvuit, précédemment installé dans la ville toute proche de Foëcy depuis 1818, cherchait à agrandir son activité, ce que Mehun-sur-Yèvre lui permettra de faire.
Les près de 7000 habitants que compte aujourd’hui la commune de Mehun-sur-Yèvre savent bien combien leur ville doit à la manufacture, qui, au temps de sa gloire en 1900 employait un millier de personnes !
En visitant le Pôle de la Porcelaine, situé à deux pas du Château et de la Collégiale, on peut y trouver certains chefs d’œuvres artistiques produits depuis plus de deux siècles dans le Berry, notamment issus de l’unité « la Spéciale », créée par Charles Pillyvuit afin de produire des pièces hors du commun, qui de par leur qualité renforcent le prestige de l’entreprise. L’importance de ce savoir-faire a été reconnue par l’Etat, qui lui a délivré en 2009 le label « patrimoine vivant ».
« Le label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) est une marque de reconnaissance de l’Etat mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence. »
Nul doute que cette distinction est amplement méritée par Pillivuyt. Mais le meilleur test que l’on peut faire est encore dans la pratique, dans le quotidien : Pillivuyt produit surtout de la vaisselle utilitaire de qualité, mais accessible. En prenant un chocolat chaud à la cafétéria du Pôle de la Porcelaine, on remarque qu’il est servi dans des tasses en porcelaine Pillivuyt, bien sûr !
Notre « patrimoine vivant » aura beau être labellisé, s’il ne se vend pas auprès de son public, il disparaîtra. Le désintérêt des mehunois au début du XIXème siècle pour leur pourtant fabuleux Château est un exemple frappant d’un patrimoine détruit par, je cite le marquis de Villeneuve, « l’inconcevable incurie des berrichons et de leur administration ». Pour ma part, je préfère parler de méconnaissance, d’éducation et de culture, on ne peut pas aimer ce que l’on ne connait pas.
Photos de Mehun-sur-Yèvre
Infos Utiles
- www.poleporcelaine.fr
- www.pillivuyt.fr
- www.patrimoine-vivant.com
- Office de tourisme de Mehun-sur-Yèvre
- Mairie de Mehun-sur-Yèvre
Cathédrale de Bourges, histoire et photos du Berry
L’archevêque de Bourges, primat de l’Aquitaine, se devait d’avoir une cathédrale à la hauteur de son titre honorifique.
Cavalcade à la campagne : fête aux Aix d’Angillon
Partons à la découverte d’une grande fête de village avec son défilé de chars fleuris.
Ville de Briare, ses émaux, son pont-canal
La traversée d’un grand fleuve en sécurité a toujours été un point d’ancrage pour les commerçants.
Cathédrale de Jean Linard, l’Art potier en Berry
Jean Linard était un poète de la céramique., qui, un beau jour des années 1960, eu l’idée de créer un espace personnel : bienvenue dans sa Cathédrale.