Cathédrale de Turin, gardienne du Saint Suaire
La ville de Turin n’est pas très connue internationalement pour ses monuments et son patrimoine architectural, ce qui, pour une ville italienne de son importance, est étonnant.
Table des matières
Pourquoi si peu de monuments d’envergure dans une ville majeure de l’Italie du nord? Sans doute parce que ce n’est qu’au XVIème siècle que Turin devint un centre urbain de premier plan avec le transfert de Chambéry à Turin de la capitale des Ducs de Savoie. C’est à ce moment qu’une relique majeure pour le monde catholique sera déposée dans la cathédrale de Turin, objet de tous les fantasmes et de toutes les théories : le Saint Suaire, transformant du jour au lendemain cette grande église pratiquement sans histoire en un centre de pèlerinage capital.
Avant le Dôme actuel
La cathédrale (ou « duomo », dôme, en italien) que nous pouvons voir aujourd’hui a été construite au cœur de l’antique cité de « Julia Augusta Taurinorum », le nom romain de Turin. De nombreuses découvertes archéologiques récentes l’attestent : trois églises romanes jumelles bâties cote à cote se trouvaient ici, juste à côté de l’ancien théâtre romain. La nouvelle cathédrale s’est donc construite sur un terrain probablement sacré depuis la période romaine. En cet endroit se trouvait un temple possiblement dédié à la Triade Capitoline. C’est Maxime de Turin, le premier évêque de la ville, qui créa la première cathédrale de la ville, assez grande pour y accueillir le Concile de Turin en 398, réunissant les évêques de la Gaule.
De ces trois églises primitives, nous avons retenu leurs noms et des découvertes archéologiques récentes nous apportent un bon nombre de précisions. La plus ancienne, l’église paléochrétienne de Saint Sauveur (San Salvatore), date de l’époque de Maxime de Turin (mort en 420). La deuxième église, Sainte Marie de Dompno (Santa Maria de Dompno) se situait de l’autre côté de l’église principale, celle de Saint Jean Baptiste (San Giovanni Battista). La dévotion à ce saint est très ancienne, remontant à Agilulf, roi des Lombards de 590 à 616. Sa femme, Théodelinde de Bavière, fait d’ailleurs de Saint Jean Baptiste le saint patron du royaume de Lombardie. Avec la nouvelle cathédrale, la dévotion à Saint Jean Baptiste a donc été maintenue et même renforcée.
Clocher-tour de la cathédrale de Turin
Avec la Renaissance, les goûts artistiques changent, et les anciennes églises romanes étaient définitivement passées de mode. Des travaux allaient donc avoir lieu sur le principal lieu de culte de la ville. On commença par le campanile, bâti en 1469 près de l’église Saint-Sauveur, sur ordre de l’évêque Jean de Compey. Ce campanile, que nous pouvons toujours admirer aujourd’hui, porte encore le blason de l’évêque, « d’hermine au chef de gueules, chargé d’un aigle éployée d’or ».
Bâti de brique rouge, le campanile de Saint André comme il est connu resta inachevé jusqu’en 1720. Le duc de Savoie Victor Amédée II, bien décidé d’embellir sa capitale, demande alors à Filippo Juvarra de le terminer : les 12 derniers mètres sont de lui. Malgré le soutien du Duc lui-même, cette fois encore, le clocher ne sera pas tout à fait terminé, sans doute pour la même raison qu’autrefois : le manque d’argent. Nous n’avons donc pas le plaisir aujourd’hui de pouvoir admirer la grande flèche que l’architecte baroque avait prévu dans ses projets. Filippo Juvarra est également responsable d’autres œuvres majeures de Turin, comme la basilique de Superga ou la façade du Palais Madame.
Cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin
Ce n’est qu’en 1490 que les travaux de construction de la nouvelle église Renaissance peuvent véritablement débuter. D’abord par la volonté du Duc de Savoie, Charles Ier, mort cette même année à l’âge de 22 ans, mais surtout sous l’impulsion du cardinal Domenico della Rovere, évêque de Turin depuis 1483. Les anciennes églises sont démolies entre 1490 et 1492 et les travaux de construction sont confiés à l’architecte Amedeo di Francesco da Settignano, dit Meo del Caprina.
La première pierre de la nouvelle cathédrale est posée par la veuve de Charles Ier, la régente Blanche de Montferrat, le 22 juillet 1491. La dernière pierre sera posée en 1498, au bout de 7 ans de travaux, selon la plaque commémorative que nous pouvons encore voir aujourd’hui. Cependant, tout n’était pas terminé, l’église n’étant consacrée que le 21 septembre 1505.
L’église à trois nefs est en forme de croix latine, et construite dans une pierre blanche venue des carrières de Bussolin (Bussoleno en italien), qui la différencie des autres œuvres turinoises de l’époque, faites de briques. L’église de marbre blanc était complètement novatrice pour l’époque, dans une ville de Turin encore très marquée par le Moyen-âge : c’est le premier exemple architectural issu de la Renaissance pour la capitale du Piémont.
En plus de la chapelle du Saint Suaire, 7 chapelles de chaque côté se trouvent dans les épaisseurs des murs de l’édifice. Seule la Chapelle de Saint Crépin et Saint Crépinien (deuxième chapelle sur le côté droit) possède sa décoration du XVIème siècle, avec des œuvres des peintres Martino Spanzotti et Defendente Ferrari.
Chapelle du Saint Suaire
En 1578, 16 ans après le transfert de la capitale des Ducs de Savoie à Turin, le Saint Suaire est définitivement transféré dans la cathédrale, tout droit arrivé de la Sainte Chapelle de Chambéry. Cette acquisition majeure d’une relique sacrée donne un nouveau statut à l’édifice religieux, qui doit désormais être digne du Saint Suaire : le projet d’une chapelle spécialement dédiée à la relique voit le jour. Mais ce n’est pas un projet simple, et il faudra attendre plus d’un siècle pour qu’il aboutisse finalement.
Il faut dire que plusieurs architectes s’étaient penchés sur ce projet. Charles-Emmanuel Ier de Savoie commanda la réalisation de la chapelle à Carlo di Castellamonte. A sa mort en 1640, son fils Amedeo di Castellamonte continuera les travaux. Il s’agit ici des deux architectes du Palais Ducal (aujourd’hui le Palais Royal de Turin), ce qui explique sans doute pourquoi la Chapelle du Saint Suaire sert de liaison entre la Cathédrale et le Palais. Bernardino Quadri hérite des travaux en 1657, mais son projet de reprise des travaux préalables de ses prédécesseurs sera interrompu par des problèmes techniques de mise en œuvre : on craignait alors que les murs de la cathédrale ne puissent supporter le poids de la nouvelle chapelle. Pour installer la chapelle, il fallut démolir une partie du chœur.
En 1668, Camillo Guarino Guarini est chargé de construire la nouvelle chapelle, 90 ans après l’arrivée de la relique. Les travaux ne se termineront qu’en 1690. La chapelle est caractéristique de son époque et de la mode qui était en vigueur alors : c’est le triomphe du Baroque. En 1694, le Saint Suaire sera finalement placé dans l’autel crée spécialement pour lui par Antonio Bertola.
Pendant la première moitié du XIXe siècle, Charles Albert de Savoie ajoute à la chapelle une nouvelle décoration, des monuments dédiés à quatre de ses ancêtres, grands personnages de la maison de Savoie.
Incendie de 1997
Dans la nuit du 11 au 12 avril 1997, un incendie de la Chapelle Guarini la détruisit presque totalement. Le Saint Suaire ne doit sa survie qu’au courage d’un jeune pompier, qui, au péril de sa vie, l’extirpa des flammes en brisant la châsse à la hache. Certains disent qu’il aurait été impossible pour un humain de sortir le Saint Suaire de sa protection, supposée résister à un lance-roquettes…
En 2015, elle est toujours inaccessible au public, en perpétuels travaux depuis lors. Par chance, le Saint Suaire ne s’y trouvait plus, ce nouvel incendie ne répétant pas la catastrophe de l’incendie survenu en 1532 à la Sainte Chapelle de Chambéry : le Saint Suaire fut gravement endommagé lorsque l’argent qui composait sa châsse commença à fondre.
Le Saint Suaire
Beaucoup de choses ont été dites sur cette relique. Est-ce que c’est le véritable suaire, qui a servi à Joseph d’Arimathie pour envelopper Jésus après l’avoir décroché de la croix ? Le premier évêque chargé d’en attester l’authenticité, Henri de Poitiers, évêque de Troyes, affirme en 1360 que c’est un faux. Son successeur, Pierre d’Arcis, trouve également que c’est un faux. L’antipape Clément VII affirme lui en 1388 que c’est un vrai. On le comprend, le Saint Suaire était déjà polémique au XIVème siècle, période où il apparait pour la première fois, du moins publiquement.
On ne sait même pas d’où viendrait ce Saint Suaire avant sa « redécouverte » au Moyen-âge. Mais bien sûr, il existe plusieurs hypothèses. Prenons les plus plausibles, en admettant que le Saint Suaire de Turin soit authentique.
Histoire du Saint Suaire
On ne sait pas très bien ce qu’y a été fait du Saint Suaire après la résurrection du Christ. Il semblerait qu’une poignée de fidèles l’aient conservé dans un secret absolu. Les juifs étaient en guerre contre l’Empire Romain, il valait mieux faire profil bas. Le linceul sera transféré à Edesse, à la demande de Jésus lui-même, et devient la propriété du roi Abgar, qui le voulait pour ses propriétés thérapeutiques. C’est Eusèbe de Césarée qui nous le dit, mais il vécut plus de deux siècles après les faits.
A Edesse (aujourd’hui Urfa en Turquie), le linge est connu sous le nom de « Mandylion », et il en est fait mention au VIème siècle. L’image du Christ aurait protégé la ville d’un siège en 544 par les armées perses. Il s’agit, pour les chrétiens orthodoxes, de la plus ancienne des icônes. En 944, la ville, alors sous domination musulmane, est assiégée par l’armée de Jean Kourkouas, envoyé par l’empereur byzantin Romain Ier Lécapène. En échange de la paix, le calife de la ville propose de donner aux byzantins le Mandylion. L’image fait ainsi son entrée à Constantinople, très officiellement le 15 août 944.
En 1204, avec la quatrième croisade et la prise de Constantinople, de nombreuses reliques furent pillées et apportées en France. Cette croisade restera à jamais une honte pour la chrétienté et surtout pour Venise, qui est, pour beaucoup, la principale responsable de cette catastrophe. Le chroniqueur (et croisé) Robert de Clari raconte que l’on perd la trace du Mandylion, ayant disparu pendant le pillage de Constantinople. On en retrouverait sa trace en 1205 à Athènes, avec une ostension réalisée par le duc d’Athènes, Othon de la Roche. Lorsque les français furent chassés de la ville, le Saint Suaire voyagea naturellement en France dans leurs bagages, ou du moins, on le pense.
Nous avons une autre version, qui veut que l’église de Notre Dame du Phare, une des églises du Grand Palais de Constantinople et qui conservait les principales reliques byzantines, fut épargnée par le pillage. Les reliques furent dispersées plus tard, déjà sous le règne d’un empereur latin de Constantinople. En perpétuel manque d’argent, Baudoin II vendit la couronne d’épines et d’autres reliques dont notre Mandylion à Saint Louis entre les années 1239 et 1241. Le roi de France fera construire à Paris la célèbre Sainte Chapelle pour accueillir les reliques. Le Mandylion disparaîtra définitivement, comme bien d’autres choses, pendant la Révolution Française.
Le Saint Suaire de Turin, s’il provient de Constantinople, aurait été apporté par un croisé après la prise de la ville en France. Il se pourrait même qu’il ne soit pas le Mandylion, certains écrits anciens du Vatican mentionnant qu’il existait deux images à Edesse. Il réapparait ainsi en 1353 à Lirey, près de Troyes, appartenant à la famille du chevalier Geoffroy de Charny. 100 ans plus tard, en 1453, Marguerite de Charny en fait don aux Ducs de Savoie, qui le conservent finalement à Chambéry, avant son transfert à Turin en 1578.
Les mystères du Saint Suaire
On dit souvent qu’il s’agit ici de l’objet le plus étudié par la communauté scientifique. Il est vrai qu’il est fascinant à bien des égards. La datation au carbone 14 semble formelle : l’objet date du XIVème siècle. Mais pourtant, cette datation n’explique pas comment l’éventuel faussaire a pu produire cette image, qui n’est pas une peinture. Le Dr Jacques di Costanzo, du CHU de Marseille, nous expliquait à la demande de Science et Vie en 2005 qu’il suffisait d’utiliser un bas-relief, de lui mettre un tissu dessus et de le tapoter avec de la rouille ! Le « faux » obtenu serait ainsi très convaincant, avec une technique à la portée d’un faussaire du moyen-âge. Sauf que… il n’y a pas de traces de fer sur le Saint Suaire.
Ceux qui veulent continuer à y croire trouvent facilement des arguments contre la méthode scientifique : sommes-nous sûrs que l’échantillon prélevé n’aie pas été corrompu, ou issu d’un bout de tissu ayant servi à raccommoder le linceul ? En outre, certains détails du Saint Suaire sont troublants. A commencer par ce Codex Pray, premier texte connu rédigé en hongrois et écrit quelque part entre 1192 ou 1195, présentant une illustration remarquablement similaire au Saint Suaire. On y voit un Jésus, déposé sur un linceul tissé en chevron, avec les bras et les mains disposés de la même façon que sur le linge de Turin et surtout des trous en L, comme les brûlures présentes sur le Saint Suaire. On a envie de croire que l’illustrateur aurait vu le Saint Suaire avant de faire son dessin…
L’autre détail troublant, c’est la présence des marques de pièces de monnaie sur les yeux de Jésus. C’est un détail qui n’apparut qu’en 1979, lorsqu’une photo du linceul, très agrandie, fit apparaître quatre lettres sur la paupière de l’œil droit : UCAI. Le père jésuite Francis Filas, à l’initiative de ces photos (il préparait une émission de télévision sur le Saint Suaire), demanda de l’aide au numismate Michael Marx, qui put identifier la pièce de monnaie comme étant un « dilepton lituus ». On a encore une fois envie de les croire, tant nous sommes fascinés par le surnaturel, mais la réalité est peut-être plus simple : il s’agit le plus probablement d’une simple paréidolie (le même processus qui nous fait voir des formes bien connues dans les nuages, par exemple).
Pour ma part, j’ai senti la dévotion presque palpable des fidèles venus se recueillir devant la chapelle latérale dédiée au Saint Suaire. Cette chapelle remplace la chapelle de Guarini, et est dotée d’un équipement de sécurité maximal : température, pression et humidité contrôlées, dans une chasse de verre blindée et remplie d’un gaz inerte.
Photos de la cathédrale de Turin
Infos Utiles
Les anecdotes insolites du Vatican
Derrière les murs sacrés de cette ville-État se cachent des anecdotes étonnantes et des faits insolites.
Anecdotes insolites sur Milan
Des légendes aux secrets de la ville, en passant par des lieux insolites, nous partageons plusieurs anecdotes sur Milan dans cet article.
Les 6 anecdotes les plus insolites sur Venise
Venise cache de nombreux secrets qui vont vous donner encore plus envie de la visiter, entre monuments et canaux.
Vivre à Rome de nos jours
Vous ne le savez probablement pas, mais j’ai toujours rêvé de vivre à Rome, ne serait-ce que pour un temps.