Camp militaire romain de Saalburg, en Allemagne
Qui n'a pas rêvé de s'immerger dans les temps jadis, à la découverte de nos lointains ancêtres? En Allemagne, il est possible, le temps d'une visite, de retourner 2000 ans en arrière et de connaître comment vivaient les soldats auxiliaires de l'armée romaine, aux frontières de l'Empire romain.
Table des matières
Quand on fait de la reconstitution historique et qu’on apporte beaucoup de soin à créer et porter un costume au plus près de la réalité du personnage que nous voulons personnifier, avoir un cadre qui corresponde à ce sens du détail et de la réalité de nos ancêtres est un bonheur. Mon association, la Legion VIII Augusta, a été invitée par nos amis allemands de la Cohors IIII Vindelicorum à venir faire une prestation le temps d’un weekend au camp romain de Saalburg. Inutile de vous dire ma joie et le plaisir que ce fût pour nous de découvrir ce camp militaire reconstitué sur les hauteurs du Taunus, sur la commune de Bad Homburg, à une trentaine de kilomètres de Francfort…
Ruines et reconstitution
Au XIXème siècle, l’archéologie alors naissante connaît un réel engouement populaire. On redécouvre le passé, on se passionne pour la quête de trésors cachés depuis des millénaires, on apprend sur ceux qui nous ont précédés sur cette terre. Le Kaiser de l’empire allemand Guillaume II était, comme beaucoup de ses contemporains, passionné lui aussi d’Histoire, qui, à cette époque, était vue comme un moyen de renforcer les nationalismes européens.
De premières fouilles eurent lieu entre 1853 et 1862. 30 ans plus tard, en 1892, la « Commission Impériale sur le Limes« , sous la direction du grand historien Theodor Mommsen, était chargée de découvrir et répertorier l’ensemble des oeuvres romaines du Limes, faisant passer l’archéologie en Allemagne à la vitesse supérieure. Dans ce cadre, l’archéologue et architecte en charge, Louis Jacobi, suggéra au Kaiser de reconstruire le fort de Saalburg avec toutes les données dont-ils disposaient, y compris provenant d’autres forts romains bien conservés d’Afrique du Nord ou de Syrie.
Le « nouveau fort » sera ainsi reconstruit entre 1898 et 1907 dirigé par Louis Jacobi et son fils Heinrich. Les deux, passionnés d’archéologie et d’architecture romaine, font de leur mieux pour reproduire le plus fidèlement possible ce qu’on savait d’un camp romain. Les fouilles ont également révélé deux fortins, dont on ignore l’usage exact. Peut-être était-ce des camps d’entraînement? Quoiqu’il en soit, le fortin B, plus récent que le A, fut semble-t-il partiellement démoli pour laisser place à une habitation. Ces fortins furent reconstitués au début du XXème siècle, mais il n’en reste plus grand chose désormais…
Aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard, nous pouvons pointer du doigt les nombreuses lacunes des reconstitutions, et attendons avec impatience l’apport des « corrections », si jamais c’était possible. La faille la plus flagrante, c’est le manque de crépi. En effet, les romains crépissaient systématiquement leurs constructions, puis traçaient par dessus des traits symbolisant de la pierre de taille. Bien sûr, le musée le sait et a depuis fait crépir « à la romaine » certains bâtiments, aux cotés d’autres nous montrant les pierres apparentes. Mais pour d’autres éléments, la tâche est plus rude : les tours des quatre portes sont bien trop basses, leur manquant au moins un étage. Pour finir, la faille la plus facilement identifiable du grand public : les toits auraient dû être couverts de tegulae, soit des tuiles romaines. D’autant plus qu’on a retrouvé en fouilles de nombreuses tuiles estampillées pour beaucoup « LEGVIIIAUG », c’est-à-dire la Legion VIII Augusta, stationnée à Strasbourg. Les légionnaires de la VIII Augusta étaient ainsi probablement les constructeurs du fort.
En 2005, Saalburg devient patrimoine mondial de l’UNESCO ainsi que tout le Limes de Germanie.
Camp de troupes auxiliaires de l’armée romaine
Le camp de Saalburg, dont j’ignore le nom latin, était un castellum de troupes auxiliaires. Moins connues que les légions romaines, ces troupes, originellement composées de non citoyens, étaient aussi nombreuses que les légionnaires, soit environ 150 000 hommes sous Vespasien. Elles prendront plus tard de plus en plus d’importance, venant à surpasser en nombre les légionnaires romains dès la fin du IIème siècle. Souvent spécialisées, ces troupes apportaient à Rome un savoir faire complémentaire de l’infanterie lourde.
A l’origine, il s’agissait d’un tout petit camp pour un numerus, soit deux centuries d’une troupe auxiliaire. Construit sous Domitien, entouré d’un simple rempart de terre et de bois et d’un fossé, le camp abritait ainsi 160 soldats, probablement des Bretons insulaires. Située sur la route allant vers la ville romaine de Nida, aujourd’hui Heddernheim dans les faubourgs de Francfort, la cohorte était probablement sous le commandement de la Legio XXII Primigenia, stationnée à Mogontiacum (Mayence).
Le camp prendra de l’importance vers 135, lorsque Hadrien agrandit le camp pour y loger toute une cohorte auxiliaire, soit 500 hommes. Désormais, Saalburg sera le quartier général de la Cohors II Raetorum civium Romanorum, qui, comme son nom l’indique, avait été recrutée à l’origine en Rhétie.
En plus des 500 soldats, il faut ajouter toute une population qui gravite autour : souvent, les familles des soldats sont dans les environs immédiats du camp, ainsi qu’une foule d’artisans et de commerçants venus proposer leurs services aux soldats romains. En tout, ce sont 2000 personnes qui vivaient à Saalburg.
A la fin du IIème siècle, le fort évolue encore, avec la construction d’une nouvelle enceinte maçonnée. La reconstitution que nous pouvons voir aujourd’hui correspond à cette dernière phase du camp romain. Avec l’abandon du Limes en 260, le camp va tomber en ruines et servira, comme tant d’autres monuments antiques, de carrière de pierres pour les populations locales.
Le limes rhénan
Rome, tant qu’elle était en expansion, n’avait nul besoin de frontières physiques solides. L’Empire était en pleine expansion, et la Gloire de Rome devait, dans l’esprit collectif des citoyens, s’étendre au monde entier. L’idéal romain était d’apporter la civilisation, de faire du commerce, de s’enrichir, pas forcément sur le dos des peuples « conquis ». La romanisation fonctionnait, et les peuples qui entraient en contact avec le confort à la romaine étaient souvent rapidement conquis, comme ce fut le cas pour les gaulois. Les camps romains servaient alors principalement à conquérir des territoires, et n’étaient pas faits pour durer. Auguste, le premier empereur romain, avait pour objectif premier de sécuriser ses frontières en conquérant la Germanie jusqu’à l’Elbe.
Mais l’idéal romain fut mis à mal en l’an 9 de notre ère, lorsqu’un chef germain, éduqué à la romaine et devenu citoyen, décida de trahir Rome en la personne de Varus, gouverneur de Germanie. Arminius, que les allemands connaissent sous le nom d’Hermann, avait toute la confiance du gouverneur. pour venger la Germanie et la libérer du joug romain. A l’issue d’un guet-apens tendu aux romains, le chef Arminius réduit à néant trois légions. Le désastre de Teutobourg, une des plus grandes défaites romaines de l’Histoire restera alors pour des siècles dans toutes les mémoires. Ceci marqua un coup d’arrêt à l’expansion romaine, et changea à jamais l’état d’esprit romain : non, tous les peuples ne voulaient pas forcément vivre à la romaine. Il fallait désormais plutôt songer à se défendre, même si Germanicus rétablit l’honneur en dévastant la Germanie (d’où son surnom de « Germanicus ») et en battant Arminius lors de la bataille d’Idistaviso en l’an 16.
Désormais, les camps romains allaient avoir une mission défensive et de contrôle, le pouvoir romain ne souhaitant plus s’étendre outre mesure en Germanie. La plupart des légions sont alors postées aux frontières de l’Empire, et, petit à petit, une frontière physique se dessine entre les différents camps romains, là ou le Danube et le Rhin ne pouvaient pas servir de barrière à une invasion, particulièrement aux Champs Décumates. Ce bout de territoire, entre Rhin et Danube et qui forme comme un coin entrant en territoire romain sera d’abord protégé par Vespasien en 74 et définitivement sécurisé par son fils Domitien en 83. Les Champs Décumates seront romains jusqu’en 260, lorsque les Alamans les occupèrent définitivement.
La ligne défensive romaine allait donc du fort romain de Mayence jusqu’à celui de Ratisbonne, fondé en 79. Au total en comptant les fortifications le long du Danube et du Rhin, ce sont 568 km de frontière à défendre. En plus du fossé et de la palissade, 60 camps et 900 tours de guet constituent le dispositif à son apogée. Saalburg n’est ainsi qu’un de ces nombreux camps, construits pour défendre l’empire des intrusions non désirées, mais également pour pouvoir contrôler et taxer les commerçants qui travaillaient des deux cotés de la frontière…
Le musée de Saalburg
Le camp romain reconstitué de Saalburg est aujourd’hui devenu un musée, comme l’avaient voulu Louis Jacobi et l’empereur Guillaume II. Entre 2003 et 2009, de nouveaux bâtiments furent reconstruits, transformant le musée en parc archéologique. De nombreux objets issus des fouilles archéologiques du XIXème siècle y sont exposés, ainsi que des reproductions ou reconstructions. De plus, des événements viennent ponctuer le calendrier du musée, avec des animations engageant des reconstituteurs. Le weekend que j’ai passé à Saalburg, j’étais en légionnaire, avec mes amis de la Legion VIII et de la Cohors IIII Vindelicorum, permettant aux visiteurs de non seulement voir les murs d’un camp romain, mais également ses occupants!
Pour terminer, la « taberna », le restaurant du musée, sert des plats de la cuisine romaine. Je sais que ces plats ont été mis au gout du jour, de nombreux délices de nos ancêtres romains ne faisant plus tellement chavirer nos papilles d’aujourd’hui…
Photos de Saalburg
A lire ou voir également
- La vidéo que j’avais tournée sur le camp romain de Mirebeau-sur-Bèze
- Les photos de la Legion VIII à Saalburg en 2016
- Le site web officiel du musée
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