Mosquée Bibi Khanym de Samarcande

La mosquée Bibi Khanoum de Samarcande

Pour embellir sa nouvelle capitale, Tamerlan voulu y construire un monument aussi grandiose que ce qu’il pu voir lors de ses nombreuses conquêtes. La mosquée Bibi Khanoum, qui porte le nom de sa femme, est exceptionnelle tant par son architecture que par son histoire…

En se promenant à Samarcande, l’ancien carrefour de la Route de la Soie, il est difficile de ne pas être époustouflé par tant de monuments, témoins d’un passé glorieux. La mosquée du vendredi « Bibi Khanoum » se laisse découvrir en plein centre-ville, aux coté du plus grand marché de Samarcande, le Bazar de Siab.

Nous sommes ici dans un des quartiers les plus mouvementés de la ville, et pourtant, la mosquée est un havre de paix, fréquentée par quelques rares touristes ouzbèks ou occidentaux. Une quiétude bien appréciable pour un lieu saint, nommé ainsi en l’honneur d’une femme bien spéciale.

rue menant à Bibi Khanoum
Les coupoles de Bibi Khanoum se laissent apercevoir au bout de cette petite rue. Si vous vous demandez ce que sont ces gros tuyaux jaunes qui traversent la rue, il s’agit de conduits de gaz…
Avenue principale devant Bibi Khanoum
Du côté du grand bazar de Samarcande, la vue est plus touristique, avec une pelouse soignée et de belles avenues arborées.
Bibi Khanoum, porte principale
Façades de Bibi Khanoum. La grande porte devant, le pishtak, et derrière, le grand iwan. Ce sont des éléments traditionnels de l’architecture perse, que l’on retrouve un peu partout en Iran.

Guidés par notre ami Nassim qui nous fait découvrir l’Ouzbékistan avec l’agence de voyages Karavan Travel, nous écoutons attentivement l’histoire qu’il nous raconte sur Tamerlan et son épouse extraordinaire Bibi Khanoum pendant que nous pénétrons dans la mosquée…

Bibi Khanoum, épouse de Tamerlan

Derrière chaque grand homme, une grande femme dit-on. Saray Mulk Khanum, plus connue aujourd’hui sous son titre de « Bibi Khanoum », « Bibi Khanum » ou « Bibi Khanym » était cette femme. Comme son nom « Khanum » nous l’indique, elle était fille de Khan. Son père, Qazan, était le souverain de Transoxiane, un vaste territoire correspondant à peu de choses près à l’Ouzbékistan actuel. En se mariant avec cette princesse, Tamerlan légitimait ainsi son autorité, en devenant un gendre du Khan.

Seuls les descendants de Gengis Khan pouvaient prétendre au titre de Khan. Tamerlan, lui, n’était « que » émir. Il ne faut ainsi pas croire qu’il s’agissait d’un « simple » mariage d’amour, même si on raconte que Bibi Khanoum était très belle. Avec Tamerlan, rien n’est comme ailleurs. C’est en battant son rival Amir Husayn qu’il fit d’une pierre deux coups : récupérer le harem où se trouvait Bibi Khanoum et devenir le seul souverain de Transoxiane.

Bibi Khanoum deviendra l’épouse principale de l’empereur Tamerlan, mais ne semble pas lui avoir donné de descendance. En revanche, c’est elle qui élèvera son beau petit-fils, le futur souverain et astronome Ulugh Beg, suivant la tradition turco-mongole.

Ruy González de Clavijo, ambassadeur du roi Henri III de Castille à Samarcande pendant la construction de la mosquée nous en dit plus sur l’impératrice. Elle était si influente qu’elle était surnommée « Cano », ou grande Khan. Dans son œuvre « Ambassade à Tamerlan », Clavijo nous raconte tout le faste et le train de vie de Khanoum. C’était l’épouse préférée de Tamerlan, celle qui le conseillait et qui tenait le pouvoir à Samarcande pendant ses longues absences en temps de guerre. Ce n’est ainsi pas étonnant que la plus belle mosquée de Samarcande lui soit dédiée…

Cour de la mosquée Bibi Khanoum
Dans la grande cour de la mosquée, avec l’un des minarets restaurés.
Coupole de Bibi Khanoum
Les coupoles de Bibi Khanoum sont notre meilleur souvenir. Quel plus beau cadeau peut-on faire à une reine ?
Entrée latérale de la mosquée
A gauche, un minaret ayant retrouvé sa beauté d’autrefois. A droite, une des entrées de la mosquée. Remarquez la discrète surveillance de la porte…

Histoire d’une construction mouvementée

Quand Tamerlan ordonna en 1399 la construction de la nouvelle mosquée de Samarcande, il avait sûrement deux exigences : qu’elle soit somptueuse, et qu’elle soit faite très rapidement. Vainqueur du sultanat de Delhi, il en ramena d’énormes richesses et de nombreux artistes, ce qui lui permettait d’être intransigeant au moment de construire la plus belle des mosquées.

La mission de construire vite une mosquée grandiose fut accomplie : le monument est une merveille architecturale, l’une des plus grandes du monde islamique d’alors. Sa taille imposante (un rectangle de 167 m de long sur 109 m de large) lui permettait d’accueillir plus de 10 000 fidèles. Elle sera inaugurée en 1404, cinq ans à peine après le début des travaux. Pour arriver à une telle rapidité, les centaines de travailleurs furent aidés par 95 éléphants apportés d’Inde. Malgré cela, la mosquée n’était probablement pas entièrement achevée à son inauguration, et ne l’a sans doute jamais été tout au long de son histoire jusqu’à nos jours.

Vitesse et qualité font rarement bon ménage, d’autant plus que l’Asie Centrale est une de ces régions du monde aux séismes trop fréquents. Les architectes locaux, à qui on exigeait une œuvre d’une taille hors du commun, n’étaient peut-être pas préparés à un tel défi, ce qui se remarqua très vite. Les exigences de Tamerlan se mariaient mal avec les besoins techniques d’une telle construction, obligeant sans doute les architectes à faire des concessions à leur souverain, au détriment de la solidité de l’ensemble.

grand iwan de bibi khanoum
Le grand iwan de la mosquée est l’un des éléments architecturaux les mieux préservés.
Décoration en céramique de l'iwan
Les travaux de restauration sont néanmoins évidents. Il s’agit d’un travail pharaonique, remonter l’édifice brique par brique, puis le recouvrir des superbes céramiques d’autrefois…
mosquée dégradée
Même si l’extérieur de la mosquée semble bien restauré, la route est encore longue pour retrouver la splendeur d’antan. Ici, nous sommes sous la coupole d’une des mosquées secondaires de l’ensemble.

Une anecdote nous est racontée par Clavijo à ce propos. A son retour de campagne militaire, Tamerlan entra dans une colère noire à la vue du grand portail de la mosquée. Il n’était pas assez grand, pas assez ambitieux ! Et en effet, il était sensiblement équivalent au portail de la médersa voisine. Il le fera démolir pour qu’on y construise le portail que l’on peut voir aujourd’hui, une « folie » pour l’époque de 40 m de hauteur. Sachant que la personne responsable des travaux fut condamnée à mort, on comprend mieux pourquoi les architectes étaient prêts à faire n’importe quoi en dépit du bon sens…

Les premiers problèmes provoqués par une construction si ambitieuse ont commencé à apparaître, avec des chutes de briques provenant de la coupole. Certains disent que Dieu n’a pas voulu de ce cadeau de Tamerlan, construit sur la mort de trop nombreuses personnes. En effet, la prise de Delhi qui apporta les richesses nécessaires à la construction d’un tel édifice avait couté la vie à 100 000 personnes !

Tamerlan, mort en 1405, vécu suffisamment de temps pour voir le joyau de sa capitale terminé, surpassant en splendeur ce qu’il avait vu autrefois chez ses ennemis Tughlûq. Cette dynastie musulmane régnait alors sur Delhi, ville indienne que Tamerlan ravagea en 1398. Delhi était une ville couverte de mosquées imposantes, d’anciens édifices majestueux et de richesses architecturales qui émerveillèrent très sûrement le souverain turco-mongol.

Amoureux des Arts, « Amir Timur » comme est nommé Tamerlan par les Ouzbèks, avait la réputation de massacrer tous ceux qui lui résistaient. Si une ville ne se rendait pas, il était prêt à rayer la ville de la carte. Mais une catégorie de personnes étaient épargnée : les artistes, qu’il faisait venir à Samarcande. Cette affluence (forcée) d’ingénieurs, d’artistes et d’architectes contribua à donner naissance à ce qu’on appelle aujourd’hui l’Art Timouride. Les artisans ouzbèks d’aujourd’hui sont très fiers de leurs ancêtres, en continuant ces traditions plusieurs fois centenaires…

Décoration extérieure de la mosquée
Le travail de la pierre est remarquable. Les multiples motifs géométriques, le choix des couleurs et des matériaux donnent ses lettres de noblesse à ce qui n’aurait été qu’un grand édifice sans le dur labeur des artistes et des artisans.
Grande coupole de Bibi Khanoum
La grande coupole culmine à 40 m. La couleur turquoise donne un aspect magique à l’ensemble, même en cours de restauration…
Eléments géométriques décoratifs de Bibi Khanoum.
Les éléments géométriques qui décorent les façades sont parfois très différents dans leur style. Ceci n’empêche en rien leur harmonie dans l’ensemble Bibi Khanoum.

La mosquée Bibi Khanoum sera un chantier quasi permanent jusqu’à la fin du XVIe siècle, lorsque le khan de l’époque ordonne la fin des restaurations. A partir de ce moment, Bibi Khanoum se dégradera jusqu’au coup de grâce, le tremblement de terre de 1897.

Lorsque Sergei Mikhailovich Prokudin-Gorskii prend une photo de Bibi Khanoum au début du XXe siècle, la mosquée n’est plus qu’un champ de ruines. Ce n’est qu’à l’ère soviétique que les premières reconstructions débuteront. Aujourd’hui, Bibi Khanoum récupère peu à peu son ancienne splendeur, avec cette fabuleuse coupole turquoise reconnaissable entre mille, culminant à 40 m de hauteur.

Ancienne photo de Bibi Khanoum
Photo de Bibi Khanoum au début du XXe siècle. Ce n’est plus qu’un champ de ruines.
Restauration de Bibi Khanoum.
Depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan, le gouvernement, désireux de raviver la flamme patriotique, a entamé un ambitieux programme de restauration de ses édifices majeurs. Bibi Khanoum en profite, petit à petit, comme ici pour une de ses mosquées secondaires.

La légende de l’architecte amoureux

On raconte que la construction était à la charge d’un architecte, qui tomba éperdument amoureux de l’impératrice. Pour pouvoir profiter plus longuement de la présence de la femme aimée, l’architecte ralentissait tout son possible l’avancée des travaux.

Khanoum, sachant cela et inquiète du prochain retour de son époux, à qui elle voulait faire la surprise de ce splendide cadeau, demande à l’architecte d’aller plus vite. L’impertinent demanda alors en échange un baiser de l’impératrice.

L’impératrice pris alors en exemple les œufs, qui malgré leur aspect extérieur différent, étaient identiques à l’intérieur. Pour une femme, c’était la même chose et proposa à l’architecte une de ses servantes. Celui-ci retorqua que deux verres identiques, mais un rempli d’eau et un rempli de vin n’avaient pas les mêmes effets : celui d’eau le laisserait de marbre, tandis que le verre de vin le brûlerait de l’intérieur, comme son amour pour elle.

La souveraine concéda alors à l’architecte qu’il puisse l’embrasser. Il le fit si fort qu’une marque apparut sur le visage de Khanoum. Au retour de Tamerlan, voyant cette marque de baiser sur le visage de son épouse, elle lui avoua qu’il s’agissait d’un baiser de l’architecte.

Tamerlan, qui revenait de sa besogne habituelle de conquête, de pillage et d’extermination a été relativement tendre avec l’architecte, sans doute attendri par la beauté de la mosquée qu’il construisit. Il le tua, certes, mais l’inhuma dans un mausolée souterrain où il fit installer sa bibliothèque. Cette bibliothèque sera ensuite reprise par le petit-fils de Tamerlan, Ulugh Beg, qui l’agrandira.

Une autre version nous dit que l’architecte a pu s’enfuir, grâce à des ailes de son invention. Monté en haut du plus haut minaret de la mosquée, il y prit son envol, et plus jamais on ne le revit…

C’est depuis cette période que l’on porte le voile à Samarcande, sur ordre de Tamerlan : toujours selon la légende, le souverain ne voulait plus que les femmes puissent aguicher les hommes. On dit souvent que toutes les légendes ont un fond de vérité, mais peut-être pas ici, l’impératrice Bibi Khanoum ayant déjà plus de 60 ans pendant la construction de la mosquée…

Mausolée Bibi Khanoum
Le mausolée de Bibi Khanoum, où se trouve sa dépouille mortelle.
Coupole et motifs géométriques
Le ciel bleu répond au turquoise de la coupole…
Mûriers de la mosquée
Les mûriers sont très présents dans la cour de la mosquée.
Mûrier et lutrin
On apporte beaucoup de soin à ces arbres, en les protégeant des maladies ou des parasites.

La mosquée aujourd’hui

Abondamment décorés de céramique, surmontés de coupoles à la géométrie parfaite, les grands édifices construits pendant la dynastie des Timourides sont facilement reconnaissables. L’aspect extérieur de Bibi Khanoum est ainsi typique de l’Asie Centrale et de Perse, un bel exemple de l’Art Timouride.

Construite autour d’une grande cour centrale, la mosquée utilise des procédés novateurs pour l’époque, comme l’emploi de pierres dans les fondations. On y entre par un portail monumental, le « pishtak » celui-là même que Tamerlan fit reconstruire par manque d’ambition de ses architectes. Les gigantesques portes de bronze originelles furent emportées en 1740 par Nadir, le shah d’Iran, lors de son raid sur la ville.

Au centre, entouré par des arbres, un gigantesque lutrin de marbre, un apport d’Ulugh Beg. On raconte que si une femme veut tomber enceinte, le mieux pour elle c’est de passer sous ce lutrin. Un conseil fort avisé de notre guide, mais ma chère et tendre n’a pas voulu le faire (ce qui ne nous a pas empêché d’avoir des enfants).

Lutrin de la mosquée
Le lutrin, en plein centre de la cour.
Lutrin pouvant servir de trône royal
Il servit également de trône à quelques souverains. On aperçoit derrière un vendeur de souvenirs. Ils sont gentils et n’agressent pas les touristes.

Ce porte Coran semble gigantesque, mais le plus ancien Coran du monde, le « Coran d’Othman » possède des pages hautes de 180 cm… pile la bonne taille pour cette énorme pierre. Aujourd’hui, le Coran d’Othman, ancien résident permanent de Samarcande, est conservé à Tachkent.

Au fond de la grande cour, l’iwan de la mosquée principale. Sur les côtés, deux « mosquées d’hiver » plus petites avec leur iwan. Les anciennes galeries ont disparu. Hautes de plus de 7 m, elles étaient faites de briques, avec des centaines de colonnes de marbre.

Aux côtés du monument se trouve un mausolée, celui de l’impératrice Bibi Khanoum. Autrefois se trouvait également la médersa Khanoum, qui n’a pas survécu aux destructions du temps.

La reconstruction actuelle utilise des techniques modernes, que les architectes de Tamerlan n’avaient pas. L’utilisation de structures métalliques permettront on l’espère à la mosquée de résister plus efficacement contre les nombreux tremblements de terre de la région.

Motifs géométriques dans la cour de la mosquée
Le cadre se prête à la contemplation, avec ses décors proches des mandalas.
Mosquée d'hiver
Mosquée d’hiver
Grand portail
Le grand portail, vu de la cour. Encore quelques tonnes de céramique seront nécessaires pour tout recouvrir…
Mosquée principale de Bibi Khanoum
L’édifice principal, avec ses dimensions généreuses, est un point de repère à Samarcande.

Références

  • « The Bibi Khanum Mosque in Samarqand: Its Mongol and Timurid Architecture », Elena Paskaleva
  • « Samarcande, chefs d’oeuvre d’Asie Centrale », éditions SMI AZIA, Tachkent.

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