La Grand Place de Béthune et son beffroi
La Grand Place est une reconstruction postérieure à la Première Guerre Mondiale et ses bombardements. Seul son beffroi, classé au patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO y a partiellement réchappé.
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Je ne suis pas du Nord-Pas-de-Calais. J’ai, comme partout ailleurs en France, mes a priori sur cette région : le climat est pourri, les villes sont tristes avec leur architecture morose et impersonnelle. Le manque de soleil et de couleurs influent directement sur le moral des gens, qui doivent se serrer un peu plus les coudes qu’autre part pour affronter les méfaits d’une latitude septentrionale. Mais je n’avais pas encore visité la Grand Place de Béthune. Béthune, c’est cette petite ville du « ch’nord » de 25 000 habitants, mais insérée dans une grande agglomération de plus de 210 000 habitants.
Brève histoire de Béthune
Le site de Béthune, comme toute l’Europe, est habité depuis les temps les plus anciens : l’homme de Neandertal y chassait déjà il y a 200 000 ans de ça. A l’époque de Jules César, le peuple gaulois des Atrébates dominait la région de l’Artois à partir de leur oppidum de Nemetocenna, l’actuelle Arras. Plus tard, pendant la période romaine de notre Histoire, une villa gallo-romaine se trouvait à proximité de Béthune.
C’est au tout début du VIème siècle que la première église fut fondée par Saint Vaast, évangélisateur d’Arras et de l’Artois. Arras ne se trouve qu’à 28 km de Béthune et fait partie de la même région historique, l’Artois, correspondant peu ou prou à l’ancien territoire des Atrébates.
Ce n’est qu’au VIIIème siècle que Béthune, alors une campagne d’Arras, deviendra une ville à part entière référencée dans les écrits, avec une première occurrence de « Bitunia ». La ville fera partie du Comté de Flandre dès le Xème siècle, et ce jusqu’au XIVème siècle, lorsque le Comté passe sous domination bourguignonne. La culture de la région était en ces temps éloignés flamande. On y parlait l’ancêtre du néerlandais, de Béthune à Zélande, directement issu du bas-francique, la langue des Francs. La langue néerlandaise reculera au fil des siècles en France, se limitant aujourd’hui au Westhoek français, la région de Dunkerque, limitée aux personnes âgées ou celles travaillant de l’autre côté de la frontière, en Belgique Flamande.
Le Nord de la France ne connut jamais de repos. Une fois la Guerre de Cent Ans terminée, c’est le conflit qui opposa le Royaume de France à l’empereur Charles Quint qui prendra le relais. Béthune est alors une ville sous domination espagnole, jusqu’à la victoire de Louis XIV au XVIIème siècle. Dorénavant, Béthune est une ville française.
Toutes ces influences se répercutent aujourd’hui dans la région. Le style « régionaliste » et éclectique adopté par les architectes de la reconstruction de la Grand Place dans les années 1920 convient parfaitement à Béthune, ville aux multiples cultures et racines historiques.
Les origines de la Grand Place
Comme dans toutes les villes du Moyen Âge, on se retrouvait à Béthune périodiquement dans les marchés, afin de vendre ou d’acheter ce dont on avait besoin au quotidien ou pour son travail. Ces marchés avaient lieu dans de grands espaces où pouvaient venir les marchands. La Grand Place trouve son origine dans l’un de ces marchés, le marché aux grains, d’une importance économique fondamentale dans une ville au centre d’un vaste territoire fertile et agricole.
C’est ici que l’on trouvait la halle échevinale, équivalente de l’hôtel de ville de nos jours. Les échevins, magistrats nommés par le seigneur, y rendaient justice. La halle sera plusieurs fois détruite puis reconstruite, comme lors des incendies de 1137 et de 1447.
Entre les deux-guerres, la Grand Place se nomme « Place du Maréchal Pétain ». S’il fallait une seule raison pour ne pas changer le nom historique d’une voie, celle-ci est bien suffisante…
Le Beffroi
Le philosophe Jean Buridan, né en 1292, était un contemporain des changements majeurs qui eurent lieu dans sa ville natale de Béthune, parfois dénommée la « cité de Buridan » en son hommage. Il aurait pu témoigner de l’empreinte laissée par les nouveaux maîtres des lieux, les ducs de Bourgogne, et des ravages de la Guerre de Cent Ans.
Jeanne de France, épouse du duc de Bourgogne Eudes IV, lui apporte le Comté d’Artois et Béthune en 1332, lorsque Robert d’Artois en fut dépossédé. La Guerre de Cent Ans débute en 1337, animée par le désir de revanche de Robert d’Artois. C’est à cette période que les seigneurs de Béthune octroient le droit aux bourgeois de construire un premier beffroi en 1346. Les bourgeois exerçaient alors une pression constante sur Jeanne de France et Eudes IV, désireux d’obtenir des réductions d’impôts pour les aider face aux ravages des troupes anglaises.
Ce premier beffroi, en bois, était construit sur quatre colonnes en plein milieu du grand marché, permettant aux passants de passer en dessous. Comme son successeur de 1388 que nous connaissons bien aujourd’hui, ce beffroi servait de prison, en plus d’une tour d’observation, toujours utile en temps de guerre. Il était doté d’une seule cloche pour donner l’alarme en cas de danger.
Béthune est alors en plein essor économique, avec l’avènement de la production drapière au Moyen Âge dans toute la Flandre. Le beffroi et ce qui allait devenir la Grand Place gagnent de plus en plus d’importance, avec la création d’un marché aux grains.
Le nouveau beffroi de 1388 est construit en grès. Cette tour originelle sera agrandie en 1437, portant sa hauteur à 33 m, auxquels il faut additionner le campanile de 17 m. Il fallait, pour accéder à la Halle aux Draps, passer sous le beffroi. Cette halle séparait alors le marché aux légumes du marché aux grains. En 1503, on place un dragon au-dessus du campanile. En 1664, un incendie dévore la Halle aux Draps, laissant le beffroi seul, mais pour peu de temps : très vite de nouvelles constructions vont s’adosser à la tour. Un carillon de 6 cloches est installé en 1546, complété en 1553 par les cloches provenant de Thérouanne, la ville rasée par Charles Quint. En 1773, un nouveau carillon de 36 cloches le remplace. Finalement, en 1951, un nouveau carillon de 35 cloches vient « habiter » à nouveau le campanile, après la ruine de la Première Guerre Mondiale.
Reconstruction et restauration
A l’issue de la Première Guerre Mondiale, plus de la moitié de la ville est détruite. La Grand Place n’y échappe pas, l’hôtel de ville n’étant plus qu’un tas de ruines. Le beffroi, lui, est miraculeusement resté debout, bien que fortement endommagé. Ce sont sans doute les constructions qui l’entouraient qui l’ont quelque peu protégé des obus allemands.
La reconstruction du beffroi fut rapide : l’architecte Paul Dégez, fils et petit-fils de béthunois également architectes, fut chargé des travaux. Il réutilisera les pierres de grès de l’ancienne église Saint Vaast pour reconstruire le beffroi.
Profitant de la destruction, de nombreuses voix se prononcèrent en faveur d’une nouvelle place, très différente de ce qu’elle avait pu être : le maire d’alors, Jules Senis, avait pour projet de reconstruire un bâtiment en remplacement de l’ancienne mairie de 1811, cette fois adossée au beffroi, suivant un projet de l’architecte Louis-Marie Cordonnier. Mais fort heureusement, c’est un autre projet qui triompha, éloignant la mairie du beffroi : le nouveau maire Alexandre Ponnelle élu en 1925 décida que finalement, le meilleur emplacement pour le nouvel hôtel de ville était tout simplement celui de l’ancien. Il allait dans le sens de la population et de l’administration des Monuments Historiques, qui préféraient avoir une mairie plus petite que de la voir collée au monument le plus aimé des béthunois ! Louis-Marie Cordonnier fut tout de même retenu pour reconstruire l’église Saint Vaast, toute proche.
Le maire n’était pas choqué par une mairie adossée au beffroi, et c’est normal : le monument était, avant le bombardement fatidique qui détruisit la Grand Place, entouré d’immeubles ! Auparavant, il était adossé à la Halle aux Draps, le beffroi n’étant jamais vraiment resté longtemps seul…
C’est le projet de Jacques Alleman qui sera enfin retenu pour la nouvelle mairie de Béthune. Ce nouvel hôtel de ville inauguré en 1929 arbore fièrement sur sa façade les récompenses de la ville : la Croix de Guerre et la Légion d’Honneur, remis à Béthune en 1919 par le président Raymond Poincaré pour son comportement héroïque lors de la Grande Guerre.
La place, quant à elle, sera reconstruite comme l’hôtel de ville, en style « régionaliste », Art Déco et Néo-Flamand. C’est une architecture hétéroclite, mais qui dans son ensemble nous présente un aspect unifié, la coordination des architectes Léon Guthmann, Gustave Sarrut, Jacques Alleman et Paul Dégez ayant sûrement eu un rôle important. Sur la Grand Place, comme ailleurs en Flandre, toutes les façades sont étroites, mais aux pignons placés très hauts, en compensation des parcelles de terrain très étroites.
Lors de la reconstruction, on a retrouvé une ancienne cave gothique. Les caves ont toujours fait partie de Béthune, et furent comme on l’imagine bien utiles lors des bombardements allemands.
La Grand Place et Béthune
Aujourd’hui, la Grand Place de Béthune garde son prestige intact, comme dans les autres villes historiques du Nord. On y trouve le centre administratif personnifié par l’hôtel de ville, mais aussi le centre historique avec le beffroi, et surtout un lieu de vie, avec ses commerces, ses bars et ses restaurants. La tradition plusieurs fois séculaires du marché y a toujours cours, tous les lundis matin, rythmé au son du carillon du beffroi. C’est l’endroit privilégié du Marché de Noël de Béthune, fort apprécié en Artois.
Elle vit malgré tout au gré des polémiques de notre temps : faut-il autoriser ou pas la circulation automobile, faut-il ou pas autoriser les constructions contemporaines sur un site qui n’est finalement pas si ancien. Entre les partisans du dynamisme et ceux de la tradition, il est parfois difficile de trancher. Pour ma part, tenons-nous en à ce qui est beau : peut-être que ce qui fait le charme de cette place, ce ne sont pas les voitures ou les halles commerciales « dans l’air du temps », mais bien ces façades flamandes, ce beffroi rescapé de plusieurs guerres et l’espace de vie bienvenu en plein centre-ville. Vous êtes sur l’esplanade du restaurant, vous appréciez la vue sur le beffroi, avez-vous envie de voir une voiture passer sous votre nez ? Moi, non.
En revanche, j’apprécie l’embellissement de la Grand Place, avec cette œuvre de l’artiste néerlandais Krijn de Koning à proximité immédiate du beffroi : plusieurs petits bassins colorés égaient les pavés gris. Une œuvre qui ne cherche pas à voler la vedette au beffroi, mais qui la complète, et de belle façon.